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Ōmisoka Tempo
Insensible à l’incessant va-et-vient de la foule dont le tempo s’accélérait à l’approche du jour de l’An, les mains dans les poches et l’air renfrogné d’un gamin qui n’aurait pas eu à Noël le cadeau qui lui faisait tant plaisir, Ryo Saeba, flanqué d’une Kaori Makimura triomphante et guillerette, fendait le flot compact déversé dans le célèbre carrefour Hachikō quadrillé par des écrans géants aux couleurs étincelantes. Autour d’eux, les joyeux badauds se dépêchaient de rejoindre leur amis pour débuter les festivités du réveillon.
Elle le tirait par la manche mais lui rechignait, car le réveillon qui s’annonçait n’était pas du tout celui qu’il avait imaginé. Kaori pouvait bien s’enchanter de revoir tous leurs amis et de fêter Ōmisoka (大晦日) en leur compagnie, sa définition de la fête à lui impliquait, comme toujours, beaucoup plus d’alcool, beaucoup plus de femmes et beaucoup moins de vêtements !
Alors que, pour son plaisir, Kaori avait déjà obtenu de lui cette soirée de Noël en compagnie de Santa Kurosu, la photo avec les pères Noël Bikers durant laquelle il avait prié tous les kamis pour qu’on ne le surprît pas dans une situation aussi dégradante, lui, le nettoyeur numéro un du Japon dont l’intransigeance coutumière presque réduite à néant le faisait maintenant soupirer...
Mais, encore une fois, la massue avait parlé. Le réveillon, ce soir, se ferait au Cat’s Eyes Café ! Il pouvait bien traîner de la patte, Ryo Saeba, il n’avait d’autre choix, résigné, que de se laisser entraîner par sa partenaire que l’ambiance électrisait.
Au Cat’s inondé de musique, Ryo et Kaori étaient déjà attendus. La grande baie vitrée diffusait dans la rue son accueillante chaleur. À l’intérieur, Falcon, dans son improbable tablier aux couleurs des fêtes, servait le saké aux convives attablés tandis que sa charmante épouse discutait à bâtons rompus avec Kazué.
Tandis que l’heure avançait dans cette ambiance festive et que le Junmai Daijingo versé à flots déridait les cœurs et les corps, les éclats de rire se mêlaient aux intempestives chamailleries de Mick et Ryo et aux protestations enflammées des sœurs Nagomi lourdement courtisées par le Doc. Comme de coutume au réveillon, on mangeant les toshikoshi (年越), ces traditionnelles nouilles noyées dans un bouillon de soba. L’alléchante odeur du bouillon de bœuf embaumait l’air dans tout le café. Au milieu de cette joyeuse cacophonie, la télévision peinait à faire entendre la voix pourtant énergique de Ryūji Miyamoto qui animait la célèbre émission Ōhaku Uta Gassen (紅白歌合戦) diffusée à l’occasion de chaque réveillon du nouvel An. La rumeur des convives grondait au rythme des prestations des deux équipes regroupant par sexe les candidats qui chantaient de tout leur cœur pour conquérir le vote des téléspectateurs.
Enfiévrés par le déroulement de l’émission, les amis en venaient maintenant à suivre l’exemple des candidats en s’affrontant à leur tour par équipes dans un karaoké endiablé sur une sélection de chansons françaises iconiques ! Les joutes vocales s’enchaînaient joyeusement ; les voix, surtout masculines, n’étaient pas les plus harmonieuses mais ils s’amusaient. Parmi toutes les filles, Kaori était à l’évidence celle qui y mettait le plus de cœur et d’énergie.
Lorsque vint le moment de chanter en duo, elle se tourna naturellement vers son partenaire de toujours. Parmi l’immense choix qui lui était offert, elle jeta son dévolu sur une chanson bien précise, bien qu’elle ne comprît pas un piètre mot de Français. Son introduction, par l’envolée de notes instrumentales, lui avait happé le cœur. Mais ce choix ne semblait pas du goût de Ryo qui refusa tout net de la chanter.
« S’il te plaît, Ryo, insista Kaori en lui tendant le micro, joue le jeu pour moi ce soir.
– Chanter un truc pareil avec toi ? Ah, non, alors là, tu rêves ! répliqua-t-il en essayant aussitôt de s’éclipser de la piste.
– Ryo ! Viens ici, ordonna-t-elle en le rattrapant par le col de sa veste.
– Hors de question que je chante ça et encore moins avec toi ! protesta-t-il en essayant vainement de se dégager de l’étau.
– Nan, mais pour qui tu te prends ! explosa Kaori en dégainant avec dextérité de sa poche sa massue fétiche.
– Ah, non, ah, non ! » couina le grand Ryo Saeba, terrorisé.
Avec cette aisance qui n’appartenait qu’à elle, Kaori fit tournoyer l’engin au-dessus de sa tête avant de le laisser filer comme une comète en direction du nettoyeur numéro un du Japon qui s’enfuyait à toutes jambes.
« Ben, dis donc, tu parles d’un joyeux Ōmisoka ! » grommela Ryo, la tête écrasée par le flamboyant « Happy new year » ornant pour l’occasion la plus célèbre des massues de Tokyo.
Kaori n’eut alors plus qu’à traîner par la peau des fesses son volontaire partenaire de chant jusqu’à la piste sous les applaudissements de convives bien éméchés et au cri de « Vas-y, l’étalon de pacotille ! » d’un Mick particulièrement déchaîné.
Défait, incapable de se soustraire à son calvaire, Ryo prit place à côté de Kaori, le micro fourré dans sa main, tandis que Miki lançait la musique.
Au son des premières notes qui avait tant séduite sa partenaire, il maugréa :
« Tu ne sais même pas de quoi parle cette chanson... »
Avant de prendre à la cheville un coup de talon bien senti qui le rappela aussitôt à l’ordre.
Il chanta le premier et Kaori le suivit sans tarder. Elle y mit toute sa joie de vivre. Lui, n’y allait encore qu’à contrecœur, jusqu’à ce que le regard noir de sa partenaire ne le convainquît de faire preuve de plus d’enthousiasme !
S’écoulèrent avec lenteur, sous le regard attentif de l’assistance, les cinq minutes et douze seconde du langoureux duo de Kaori et Ryo qui eut bien du mal, étonnamment, à dissimuler, en plus de la mauvaise grâce avec laquelle il chantait, un certain embarras. Lui que, d’ordinaire, rien ne décontenançait, ne pouvait s’empêcher de trépigner tandis que sa voix parut à plus d’un moment quelque peu tremblante. Son impatience à terminer cette chanson était manifeste. La conclusion vint enfin sous un tonnerre d’applaudissements amplement exagérés par l’alcool… au plus grand soulagement de Ryo !
Kaori, plus rayonnante que jamais, ne remarqua guère qu’il s’éloignait sans attendre son reste, satisfait de pouvoir enfin échapper à son caprice, et se replier vers le fond de la salle ou ne tarda cependant pas à le rejoindre Mick, fin bourré, qui, le bras passé autour de ses épaules, se mit à pleurnicher sur la chance qu’il avait de côtoyer au quotidien un ange comme elle. Sur la piste, le Doc et Saeko entamaient un duo improbable sur une chanson langoureuse que l’un prenait, bouche en cul de poule, mains fébriles et baladeuses, comme prétexte pour se coller à l’autre qui se dépêtrait comme elle pouvait sans perdre le fil des paroles !
Ne tarda plus à venir le fatidique compte à rebours final vers la nouvelle année. Kaori survoltée, cramponnée au bras d’un Ryo blasé et encore affligé d’une bosse consécutive à une de ses bêtises de trop, sautillait sur place à chacune des secondes égrenées. Un sourire immense aux lèvres. À minuit pile, ce fut l’explosion de joie entre les murs du Cat’s. Et puis, le fracas assourdissant des feux d’artifice sur la ville annonçant le début d’un nouveau cycle solaire. Tous restèrent longtemps sur le parvis du café pour l’admirer, bravant le froid hivernal en se serrant les uns contre les autres.
Dans la nuit froide maintenant bien avancée, tandis que mouraient les échos des derniers feux d’artifice sauvages un peu partout dans les rues, les convives ivres et repus quittèrent le Cat’s Eyes Café, y laissait seul Falcon qui, le rose aux joues sous ses lunettes noires et l’imposante musculature toujours engoncée dans son tablier, pressait contre lui le corps gracile de sa souriante épouse qu’il faisait allègrement tournoyer au rythme d’une musique romantique.
À pied sur le chemin du retour, Kaori jeta un coup d’œil furtif à son partenaire. Sans parvenir à déchiffrer complètement son attitude, elle prit le sourire discret qui relevait les commissures de ses lèvres comme le signe qu’il avait bien plus apprécié le réveillon qu’ils venaient de passer ensemble qu’il n’oserait l’admettre.
L’attention de la nettoyeuse fut ensuite attirée par les lanternes suspendues de part et d’autre de l’allée qu’ils empruntaient. À-travers l’obscurité de la nuit, leur éclat s’apparentait à un appel vers la lumière pour débuter cette nouvelle année. Année qui avait été riche en aventures, pleine de missions délicates et dangereuses. Mais, ils étaient là tous les deux, bien vivants, savourant ce moment nonchalant.
Les rues étaient, malgré l’heure tardive, emplies du monde qui se dirigeait vers le sanctuaire Meiji Jingu et les temples bouddhistes. Les voix humaines furent concurrencées par celles des cloches qui se mirent à sonner à tout rompre dans les édifices religieux. Bien décidées à retentir cent huit fois, les bonshō (梵鐘) chantaient avec force en faisant virevolter le cœur des passants par leur sourde sonorité s’apparentant à des vibrations divines qui résonnaient dans leurs os. Ces puissants dénombrements de bronze avaient pour but de dissoudre les cent huit péchés de l’être humain. Un nouveau cycle de vie s’entamait : il fallait se débarrasser des impuretés du passé.
« Quel monde ! » s’exclama le nettoyeur, surpris par cette foule compacte qu’ils devaient presque remonter comme un torrent de montagne en cheminant vers leur appartement dans la direction opposée.
En entendant sa voix, Kaori le regarda de nouveau et eut envie de lui proposer qu’ils se rendent également au sanctuaire, comme elle le faisait par le passé avec Hideyuki pour y acheter des Omanori, les traditionnels porte-bonheur. Elle ne dit toutefois mot, sachant pertinemment qu’il avait déjà fait de gros efforts en acceptant le programme des deux réveillons et, mieux encore, en acceptant de chanter avec elle.
La porte de leur appartement refermée sur eux les isola subitement de l’effervescence de la ville agitée en cette nuit de fête. En même temps que le silence tomba la fatigue sur les épaules de Kaori qui décréta qu’il était grand temps de se mettre en pyjama. Plus endurant, Ryo demeura imperturbable dans le salon à la suivre du regard tandis qu’elle empruntait l’escalier en direction de ses quartiers. La porte sa chambre franchie à la volée, Kaori ouvrit celle de sa penderie après s’être prestement débarrassée de sa petite robe noire que lui avait vivement conseillée Eriko pour l’occasion.
« De toute façon, la rouge reste ma préférée. »
Dans une volte-face stupéfaite, Kaori avisa l’étalon de Shinjuku qui la toisait nonchalamment appuyé au chambranle de la porte. Il lui adressait, goguenard, un sourire désarmant. La surprise un peu passée, elle rit doucement de l’entendre fredonner la chanson qu’ils avaient entonnée en duo pendant le karaoké tandis qu’il approchait maintenant d’elle débordant de son impudence coutumière. Alors qu’il passait un bras leste autour de sa taille, elle rougit et serra le poing, l’échine parcourue d’un long frisson.
« Laisse-moi tranquille, Ryo, je suis en train de me changer, gémit-elle dans un souffle.
– Depuis quand tu restes habillée lorsqu’on passe la nuit ensemble ? »
Alors qu’elle allait mollement protester qu’elle se sentait trop fatiguée, il accentua légèrement son étreinte et son corps, échappant au contrôle de sa raison, bondit aussitôt contre lui. Ses lèvres capturèrent les siennes et ses mains disparurent dans sa chevelure d’ébène dans laquelle elles aimaient se perdre tandis que son partenaire enflammait ce baiser en s’emparant de sa langue pour débuter une subtile danse. La pièce s’imprégna des bruissements de leurs souffles qui fusionnaient tandis que leurs corps s’électrisaient dans la chaleur de ce baiser d’hiver qui leur fit retrouver la saveur de ce doux jour d’été qui avait vu leur éternelle relation prendre un nouveau tour, espéré mais presque inattendu.
Ryo s’amusa diablement de voir Kaori si rouge tandis qu’elle débouclait d’une main maladroite et empressée la ceinture de son pantalon. Écarlate comme la robe qu’elle portait en ce jour d’été béni. Plus rouge encore quand il dégrafa le soutien-gorge et mit à nu sa lourde poitrine, ce délicieux trésor féminin si tristement bien dissimulé, presque nié, qui recueillit aussitôt ses attentions les plus avides.
Il suçota avec gourmandise chacune de ses baies de goiji dressées d’excitation, les recouvrit de salive, les emprisonna entre ses dents, provoquant un cri de plaisir mêlé de douleur qui l’excita encore plus. De caresses en baisers, les gestes plus empressés, les souffles saccadés, donnaient un nouveau tempo à cet Ōmisoka particulier. La culotte de Kaori, mince lambeau restant de pudeur inopportune, ne tarda plus guère à tomber à ses pieds. Puis, penché à son oreille, Ryo fredonna encore :
Tourne-toi
À ces mots, sans te prévenir, prestement, je lâche une de tes mains pour te faire décrire un demi-tour qui te plante tout étourdie devant le miroir de ta penderie, dos à moi.
Amusé, excité, je te susurre d’une voix sucrée :
« Tu m’as obligé à la chanter, maintenant, tu vas la danser ! Je vais te montrer un peu de quoi ça parle ! »
Non
À peine le temps de comprendre ce qui se passe et de protester, je soupçonne déjà que tu as une idée saugrenue derrière la tête.
Contre moi
Tandis que la surprise te prive encore de tes moyens, je t’enserre d’une main par la taille et te colle à moi. Le contact de ta peau chaude contre mon torse me fait frissonner et gonfle plus encore mon délicieux mokkori. Ivre de l’odeur intime qui se dégage de ta nuque, je glisse bientôt ma main libre le long des muscles fermes de ton dos, vers tes fesses délicates que je caresse et titille, ému par leur consistance d’une souplesse affolante. Dire que j’ai si longtemps délibérément ignoré quel succulent bout de femme se cachait derrière ces airs de garçon manqué ! Ce soir, tes fesses m’obsèdent et j’en prends rapidement possession, les palpe, les écarte en savourant les tremblements qui agitent tout le reste de ton corps. Par de longs baisers dans le cou, je m’efforce d’apaiser la tension que je sens te gagner tandis que, lentement, mes doigts se faufilent dans le doux sillon de ton derrière…
Non, pas comme ça
Un léger mouvement de panique s’empare de moi lorsque je sens tes mains s’attarder dans une contrée qui t’est encore inconnue, mon cœur s’emballe, mes sens s’enflamment car je suis partagée entre la peur et la curiosité qui m’irradient. Bien que tes baisers soient des appels à te céder, je résiste. Sans grande conviction.
Et danse
La décadanse
Oui c’est bien
Bouge tes reins
Lentement
Devant les miens
« C’est comme ça que je te veux, cette fois. »
Au creux de l’oreille, pour faire taire tes protestations. Ton visage est pivoine ; tu me rends fou de désir. Tu sais que je devine, sous la surface de tes gémissements gênés, l’attrait de l’inconnu qui t’envahit. Avec mes doigts, sans perdre ma contenance, sûr de mon fait, je prépare le terrain…
Mon excitation est à son comble.
Mes doigts sont humides de toi qui, lentement, leur fonds dessus. J’agrippe mon mokkori, tend le gland vers ton sillon… L’évidence me frappe soudain que je ne suis plus capable d’attendre. Le sais-tu ? Sais-tu seulement comme tu peux me faire perdre la tête ?
La délicieuse pression de ton tendre et moite oshiri no ana résiste un temps à mon incursion et, tandis que j’insiste sans faiblir, je suis assailli dans tout le corps de vertigineux tressaillements. Le plaisir m’arque-boute sur toi et je te sens plier sous mon poids, sans opposer de résistance ; j’entoure fermement ta taille de mes bras pour te rassurer et savoure la chaleur veloutée de ton ventre sous mes doigts. Puis mon gland franchit enfin la barrière de ton anus et, tout d’un coup, tu me happes et m’engloutis. Un soupir d’aise m’échappe lorsque je sens ton bassin, ton délicieux postérieur bien ferme, venir se coller contre moi. Après être restée un instant tétanisée, tu te redresses bientôt entre mes bras, tes muscles se bandent et leur énergie vivace courant comme des arcs électriques sous ta peau me ravit ; tu te dresses non pour me repousser mais pour, instinctivement, presque inconsciente de ton geste, te coller à moi. Profitant de cette occasion, j’attire brusquement ta tête au creux de mon cou ; la chaleur de tes cheveux contre ma peau m’éblouit. Incapable de le retenir, tu émets un râle de bien-être qui résonne comme un triomphe à mes oreilles. Je capture ta bouche de la mienne pour avaler ce délicieux aveu de défaite.
Reste là
Derrière moi
Balance
La décadanse
Que tes mains
Frôlent mes seins
Et mon cœur
Qui est le tien
Des frissons m’envahissent le bas-ventre au contact de tes doigts qui viennent effleurer une nouvelle fois ma poitrine encore détrempée, rougie par tes baisers... Tu perçois très vite ce signal de plaisir car tes mains se font plus empressées de venir les caresser. Tes doigts sont conquérants et prennent en otage mes tétons dressés par cet assaut soudain.
Je me rends compte que c’est une diversion, pour mieux m’approcher. Embarrassée par ton envie mais également par la réaction de mon propre corps qui est sans appel : le désir. Je panique lorsque je ressens ta présence à l’entrée de cette nouvelle source de plaisir. La peur se mélange subtilement à l’excitation de découvrir cette ivresse que j’ignore encore.
Tu t’invites alors en moi. Je me fige quelques secondes pour m’habituer à ton incursion lente mais déterminée. Je défaille, j’ai le souffle court sous l’effet de cette tension qui m’envahit de l’intérieur, mes jambes se déroberaient sous mon poids si je m’écoutais. Je sens tes mains devenir tremblantes, tandis que ton râle de contentement m’électrise. L’instinct me dicte ma conduite, je me redresse pour me presser contre toi. Ta peau vient se coller à la mienne, ta poitrine apposée contre mon dos me rassure tandis que tes bras se resserrent sur mon bassin assiégé.
Un gémissement s’échappe de ma gorge contractée, trahissant la première étincelle d’un plaisir nouveau. Tu le sens, tu le sais, alors tu t’empares de mes lèvres pour m’encourager à effacer les dernières traces de ma pudeur maladive. Tu me transcendes par ta quasi-omniprésence et ta capacité à me donner davantage d’audace, je capture alors ta main pour la poser sur mon sein afin que tu entendes mon cœur te crier tout mon amour.
La chanson me revient. Ce duo que je souhaitais tant chanter avec toi prend un tout autre sens. Je me serre encore davantage contre ton corps pour danser avec toi ce nouvel Ōmisoka Tempo.
Mon amour
De toujours
Patience
La décadanse
Sous mes doigts
T’emmènera
Vers de lointains
Au-delà
Je m’enfonce en toi sans la moindre difficulté, comme si ton corps avait été fait pour accueillir mon puissant mokkori. Mais je sens la raideur de tes muscles qui trahit ton inconfort. Mes caresses et mes baisers, partout où mes doigts et mes lèvres peuvent t’atteindre, ont beau détendre un peu ta chair, je sais ce qui te manque, ce qui te manque par-dessus tout. Alors je redresse ton visage, colle ta joue contre la mienne et, à l’oreille, sans pouvoir me retenir de te narguer un peu, te murmure en faisant face avec toi au miroir de ta penderie :
« Regarde-toi. Regarde-nous. Regarde comme nous sommes beaux dans ce miroir, seul témoin de nos plaisirs les plus secrets ! »
Je savoure l’étincelle dont s’illuminent tes yeux que je vois s’arrondir dans la glace et j’y plonge, comme tu le désires, comme tu le demandes silencieusement. Alors nos corps s’accordent enfin, trouvent leur tempo, et tout devient d’une fluidité voluptueuse, mes gestes rencontrant leur écho le plus naturel dans les tiens tandis que le plaisir, inexorable, me submerge et m’emporte.
En nage et le cœur battant, je ne peux m’empêcher de t’aiguillonner plus férocement, cette fois, ivre de cette douce vengeance que je prends sur toi :
« Sois franche, Kaori ! C’est quand même bien mieux qu’un karaoké pour célébrer la nouvelle année, pas vrai ? »
Des eaux troubles
Soudain troublent
Mes sens
La décadanse
M’a perdue
Ah, tu me tues
Mon amour
Dis, m’aimes-tu ?
Je n’écoute plus que les clapotis de nos corps et de ta bouche qui me dévore. Yeux clos, je laisse mon esprit vagabonder en visualisant les doigts de ta main droite occupés à s’immiscer et tournoyer dans mon antre détrempé au rythme de notre danse, tandis que la gauche se cramponne à moi pour m’accompagner dans cette étrange cadence.
Ta présence de part et d’autre de mon corps m’embrase et me fait oublier le fil de la chanson, cette vague qui me submerge m’est singulière. J’aimerais me perdre dans cet océan bouillonnant et atteindre ses abysses mais ma peur me paralyse. Tu le ressens, alors ta main capture mon visage et le relève, ta bouche vient se coller à mon oreille et attire mes yeux vers ton reflet à la surface du miroir qui nous observe silencieusement. L’éclat de ton sourire balaie soudain mes craintes et me fait définitivement perdre pied ; échappée de la réalité, je plonge enfin sans retenue. Tes doigts dans mes profondeurs ne peuvent plus retenir cette marée montante tandis que mes contractions t’incitent à me pénétrer avec plus de vigueur. Nos regards soudés dans le miroir, gagnée par l’inconscience, je gémis : « Je t’aime ».
Je t’aimais
Déjà mais
Nuance
La décadanse
Plus encore
Que notre mort
Lie nos âmes
Et nos corps
Comme tu me serres fort, Kaori… À croire que tu voudrais m’écraser ! Tu m’en veux donc tant que ça ? Mais, non… Je sens les spasmes du plaisir qui traversent ton corps faire vibrer tout du long mon mokkori… Tu te presses en rythme à moi et m’aspires comme pour ne jamais me laisser partir…
Comme tu es douce, ma furie, comme tu es profonde et savoureuse. Comme tu es belle, incandescente. Tu m’enflammes d’un vertige délicieux, si délicieux que je pressens désormais l’imminence de la chute dans ce nouvel « han » que tu m’arraches alors que je parviens une fois encore au fond de toi…
Dieu pardonnez nos
Offenses
La décadanse
A bercé
Nos corps blessés
Et nos âmes égarées
La chanson vient à son terme et le rythme de nos corps s’accélère. Je t’aspire au plus profond de mon être, je te retiens de toutes mes forces, pour savourer ce nouveau plaisir qui me grise. Plus rien n’a la moindre importance sauf cette lave qui monte en moi, demande à jaillir. Elle se diffuse dans mon bas-ventre, mes reins sont mis en supplice. Elle remonte dans mon dos au contact de ta peau, descend dans mes cuisses... Mes forces me trahissent, je tombe... me retiens au miroir... La pulpe de mes doigts s’imprègne de la froideur du verre alors que mes yeux interceptent subitement le regard trouble de mon reflet. Franchissant l’invisible frontière de ce tori dressé devant moi, je m’envole du profane au sacré et goûte à la volupté... Tes coups de reins s’intensifient, je me consume de l’intérieur, mon esprit, mon corps vacillent sous cette intensité jusqu’alors jamais éprouvée. Je murmure ton prénom, mes râles se font longs, profonds… L’éruption m’emporte.
Dieu
Pardonnez nos offenses
La décadanse
A bercé
Nos corps blasés
Et nos âmes égarées
Le feu dont mes reins brûlent subitement me consume et m’étouffe. Il n’y a plus rien à faire pour le retenir. Plus qu’à le laisser m’emporter, m’emporter pour te rejoindre. Entre tes fesses, au comble du bonheur, j’éjacule abondamment, avec une terrible puissance, agité de soubresauts extatiques et nous ne sommes plus que deux cœurs, deux cris à l’unisson. Sous la chaleur de nos souffles entremêlés, nos reflets dans le miroir s’estompent, noyés de buée au même instant que nos esprits s’évanouissent, unis, entremêlés, à jamais indissociables. Je m’oublie en toi.
Les voix s’éteignent après avoir une fois de plus vibré au rythme de cette ode à l’amour. Les souffles s’apaisent, les corps se reposent. Le silence, sur l’écrin de leurs passions, reprend ses droits.
Bientôt, par la fenêtre de la chambre de Kaori, les premiers rayons du Hatsumōde (初詣) effleureront les corps encore frissonnants des deux amants repus, illumineront les doux sourires contents accrochés aux lèvres toujours proches à se joindre. Sans doute s’endormiront-ils alors, remettant à un peu plus tard le moment de s’échanger les traditionnels « Akemashite-omedetō » tout en buvant le Toso (屠蘇), le saké du jour de l’an brassé à base d’épices et d’herbes médicinales.
« Tu me paieras ça le jour de la Saint-Valentin !
– Oh, non, pas encore un karaoké !
– Je te laisserai choisir la chanson que tu voudras mettre en pratique ensuite... »